9 juil. 2006

La théorie des poissons panés - Chapitre 1

Réédition d'une nouvelle en quatre chapitres, parue initialement en 2002.
Tout a commencé par une nuit orageuse. Le ciel était bleu, le soleil brillait. On l’appela la nuit des longs couteaux panés. Soudain, Bernard Loiseau sortit la pizza du four. Il pleuvait des cordes dehors, mais il s’exclama : « No problem, I’m gonna cook some fish. » Son accent russe rappelait vaguement ses origines portugaises ; en fait, il était chinois. Tout à coup, les poissons panés frémissaient doucement dans la poêle. Le beurre crépitait malgré son absence inopinée. Bernard Loiseau prit son opinel et se découpa une tranche de pain, quand soudain jaillit un rayon de soleil : il faisait enfin jour. Un léger souffle de vent se fit entendre, mais Bernard ne l’entendit pas : il cuisinait toujours avec ses boules Quiès depuis ce fameux accident de l’automne 82. En un éclair, il sortit la petite bouteille de jus de citron de son réfrigérateur de marque Frigidaire, acheté lors d’une vente de surplus militaire américain à la fin des années 80. Malgré sa très grande intelligence, il mit plusieurs heures à comprendre le fonctionnement de la fiole jaune et verte ; mais son amour pour l’agrume acidulé était tel qu’il ne se découragea pas, et il atteignit enfin son objectif. Il était 19h du matin, la veille au soir. Bernard, épuisé par cette épreuve, se laissa tomber dans son fauteuil et sombra dans un profond sommeil. Cinq heures s’écoulèrent, et un coup de téléphone le sortit de sa torpeur.

- Allô Bernard, c’est Joël… Joël Robuchon… ça va bien ?
- Hi Joël I’m fine thank you. But I was sleeping you know...
- Excuse me I don’t speak English.

Et il raccrocha violemment au nez et à la barbe de Bernard. Bernard se retrouvait à nouveau seul, dans la cuisine qui lui servait de maison. Soudain il sursauta : les poissons panés cuisaient depuis plusieurs heures ! Il se précipita vers la poêle, s’en saisit et la jeta, avec son contenu, par la fenêtre. Le tout lui avait pris moins d’une seconde mais l’avait complètement épuisé. Il murmura alors pour lui-même, dans un dernier souffle : « Plus jamais de poissons panés avec de la pizza. Plus jamais. »
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