31 mars 2010

Le jeu de la mort : la grosse arnaque de France 2


Je réagis tardivement à cette émission diffusée il y a deux semaines sur France 2 (et dont j'avais parlé ici, pensant à l'époque que ce serait intelligemment construit). A cause de ce retard je rate le buzz ramdam qui a entouré la diffusion mais ça n'est pas très grave, cette phrase servant surtout à placer le mot ramdam qui remplace désormais le mot buzz sauf si on est un connard de traître qui préfère les anglicismes à notre bonne vieille langue française identité nationale marseillaise drapeau bleu-blanc-rouge non aux mosquées.

Rappel des faits pour ceux du fond qui ne suivent pas : France 2 souhaitait éclairer ses chers téléspectateurs au sujet du pouvoir de la télévision, en reproduisant l'expérience de Milgram transposée sur un plateau de jeu télévisé. Le faux scientifique de l'expérience originale était remplacée par une fausse animatrice de jeu, qui poussait les candidats à envoyer des (fausses) décharges électriques de plus en plus fortes à un (faux) autre candidat. Les cobayes-candidats n'étant bien entendu pas au courant que tout était faux. Le principe de l'expérience est de savoir jusqu'à quel point ces candidats sont prêts à obéir à une autorité qui leur donne des ordres contraires à leurs valeurs.

A l'issue de l'expérience présentée dans l'émission, les organisateurs constatent un taux d'obéissance de 82% : sur l'ensemble des candidats testés, 82% sont allés jusqu'à la décharge électrique la plus élevée, sous la pression de l'animatrice du jeu. Conclusion du gros scientifique barbu, garant de la haute valeur scientifique du programme : "82% c'est très élevé. La télévision dispose donc d'une autorité telle qu'il s'agit d'un pouvoir totalitaire".

France 2 entendait également, par cette émission, dénoncer les méchantes chaînes privées qui font de la télé-réalité avec des fermes, des lofts, des faux millionnaires et toutes ces sortes de choses. Bouh les vilains.


(interlude: photo pour détendre l'atmosphère)

Le problème est que le raisonnement présenté dans l'émission est idiot. Ce qui a été testé dans cette expérience, ce n'est pas le degré d'obéissance d'individus face à l'autorité de la télévision. Ce qui a été testé, c'est le degré d'obéissance de joueurs face au maître du jeu (l'animatrice présente sur le plateau). D'ailleurs l'expérience de France 2 l'illustre elle-même : pour une petite partie de l'échantillon testé, l'animatrice quitte le plateau et laisse les candidats poursuivre le jeu seuls ; on constate alors que le taux de rebellion (candidats qui arrêtent d'envoyer des décharges alors que la règle du jeu l'impose) augmente très fortement. Pourtant les candidats sont toujours dans le cadre du jeu télévisé.

Par honnêteté intellectuelle, la moindre des choses eut été de réaliser la même expérience, mais sans le cadre télévisuel, en organisant exactement le même jeu, en public, mais sans les caméras et sans que ce soit présenté comme organisé par une chaîne ou un producteur de télé. En isolant le paramètre "diffusion télévisée" on aurait ainsi pu mesurer le bonus d'autorité dont bénéficie un maître de jeu lorsque le jeu en question est télévisé. On aurait encore été loin de ce qui était supposé être évalué (l'autorité de la télévision), mais au moins le protocole expérimental aurait été à peu près cohérent.

Quant à la mesure de l'autorité de la télévision, elle devrait porter sur l'obéissance des téléspectateurs, et non des participants qui sont sur les plateaux de télévision. Sinon ça revient par exemple à dire qu'on peut évaluer l'autorité du curling en mesurant le taux de joueurs de curling qui ne respectent pas les décisions de l'arbitre lors d'un match.

L'expérience aurait pu être la suivante : on présente à deux panels d'individus de même constitution une même information dont ils peuvent tous savoir qu'elle est fausse, en faisant un léger effort de réflexion.

Les deux panels reçoivent l'information par la voix d'une personne inconnue mais présentée comme expert du sujet traité dans l'information. Pour le premier panel, la transmission de l'information se fait dans le cadre d'une conférence ou par un article de journal (par exemple). Pour le second panel, la transmission de l'information se fait par une émission de télé. On interroge ensuite les individus afin de voir s'ils ont admis ce que l'expert leur a présenté. On compare les taux d'acceptation de l'information obtenus par chacun des deux panels. On en déduit la valeur du bonus (ou malus) de crédibilité de l'expert lorsque son message est transmis par la télé ; ceci donne une image du pouvoir de persuasion de la télévision par rapport à d'autres médias.

Cette émission qui se voulait une dénonciation du pouvoir totalitaire de la télévision utilise donc finalement les méthodes de communication des pouvoirs totalitaires : le réalisateur prend des faits, et à partir de cette base il élabore un raisonnement qui ne tient pas debout mais qui lui permet de délivrer un message idéologique, supposé démontré par les faits.

Finalement, cette émission est donc une très bonne illustration de ce qu'elle était supposée dénoncer. Quelle ironie. A moins que ce ne soit volontaire, et que dans trois mois France 2 nous dise : "En réalité cette émission était un leurre, un simple rouage dans notre véritable protocole expérimental. Après la diffusion de l'émission, nous avons mesuré par sondage le taux d'acceptation des conclusions de l'émission par ses téléspectateurs. Nous avons constaté que 60% des personnes interrogées ont accepté notre raisonnement, qui était pourtant parfaitement et évidemment stupide. On peut donc en déduire que la télévision a une assez forte autorité sur son public puisque plus d'une personne sur deux a cru à nos conneries. Ce plan machiavélique a été imaginé par Arlette Chabot et David Pujadas, ces véritables Machiavel des temps modernes." Alors là ça serait très fort.

En fin de compte, le vernis scientifique de cette émission étant rapidement dissout en raison du raisonnement complètement biaisé, que reste t-il donc qui fait que cette émission était malgré tout amusante à regarder ? Tout simplement le fait de voir des vraies personnes se faire piéger par une production télévisée, la curiosité de savoir à quel moment ils vont craquer, l'envie de savoir s'ils seront plutôt gentils ou méchants. Autrement dit, ce sont les ingrédients de base de la télé-réalité qui font que cette émission était intéressante. Quelle ironie, pour une émission anti-télé-réalité. Ca nous fait une double dose d'ironie pour une même émission.

5 commentaires:

Choucroute a dit…

De drôle/pathétique il y avait aussi le fait d'entendre un comédien intervenir en jouant comme une patate seulement au moment des chocs électriques supposés pour dire "Oh mais non oulala, maintenant j'en ai marre s'il-vous-plaît c'est-à-dire que ça suffit comme ça maintenant", puis se taire complètement entretemps. Soit comme une vraie personne normale qui prendrait des coups de jus et voudrait vraiment partir.

Sinon où sont les chiffres pour l'autorité du curling ? Vous pourriez citer vos sources ?

LE Nelge a dit…

Est-ce que le monde monde ne va pas être aspiré dans toute cette ironie vu sa densité ?

Sinon je suis surpris qu'ils aient trouvé un panel de gens suffisant pour faire leur merde. L'expérience de Milgran, c'est connu. D'où à mon avis triple ironie les candidat aussi étaient acteurs, ou au parfum ou se doutaient de ce à quoi ils participaient ; ce qui rend le machin encore plus ridicule.

C'est pourtant vrai, cet article ne cite pas assez ses sources.

Walex a dit…

Ouaaah, c'est tordu mais j'ai bien envie d'adhérer... mais ça me ferait accepter ton raisonnement, alors ça me laisse perplexe.

Choucroute a dit…

Est-ce qu'on pourrait faire valider ton post par un consultant télévisuel du curling pour rassurer les sceptiques ?

Marie B. a dit…

Tout ça pour dire que tu as raté un super épisode de Moundir.

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